Xavier MICHEL
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→ Je me cherche, tu me trouves
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Inviter Xavier Michel en résidence présente une certaine prise de risque. Il fait partie de ces artistes bricoleur.euses qui ne peuvent se déplacer sans leur arsenal d’objets, d’outils, de caisses et de malles à trucs1. Pour le dire grossièrement, Xavier Michel transforme les espaces qu’il habite par son travail en capharnaüm doucement bordélique, entre atelier et laboratoire, dans lequel il s’affaire en inventeur fou, ou en amoureux de la sérendipité qui expérimente et teste, rate parfois, retente, rate mieux2. Mu par un besoin irrésistible de comprendre comment les choses fonctionnent, il les démonte et les ré-assemble, les fabrique lui-même, les modifie, les agence, les fait résonner de concert. Tout tient dans un équilibre précaire et fragile, maintenu et activé par les mains et le corps de l’artiste, des jeux de ficelle et des tours de jonglage. Il crée ainsi des systèmes ingénieux dans lesquels tout est lié dans une inter-dépendance joyeuse, et dans lesquels il semble, lui aussi, chercher sa place. Ses gestes et sa sensibilité empruntent au spectacle burlesque, dans lequel il joue le rôle d’un Buster Keaton romantique et éternellement confronté au risque de la catastrophe. Tel un prestidigitateur en apprentissage, il crée des illusions magiques, mais dans lesquelles il finit toujours irrémédiablement à poil3, portrait mélancolique de l’artiste en saltimbanque4.
1 Voir le concept du bricolage développé par Claude Lévi-Strauss dans La pensée sauvage, 1962.
2 D’après Samuel Beckett, dans Cap au pire, 1983.
3 Xavier Michel, Rap à poil, 2023.
4 Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque, 1970.
Julie Faitot, 2023
Xavier Michel, ingénieur en erreur de situation
Avant de le rencontrer, je savais de Xavier Michel qu’il faisait des performances et des sons avec des objets bricolés ressemblant à des choses qu’ils ne sont pas : il a beau enfiler sa veste de peintre faite en scotch, il a quand même l’air nu ; aussi réalistes que soient ses palettes en bois de cagette, elles porteraient à peine une tablette de chocolat.
Depuis que je l’ai rencontré, j’ai appris qu’il fabrique lui-même des systèmes autant que des objets dont il active la fonction au cours d’actions performées. Reprenons point par point : il fabrique lui-même car, dit-il « faire soi-même ouvre des portes, à la fois narratives et plastiques, y compris de choses à côté desquelles tu passes » – on notera, pour y revenir, cette petite volte- face finale qui vient embrouiller l’affirmation initiale apparemment univoque : c’est simple, mais pas exactement.
Il fabrique des systèmes, c’est-à-dire des « dispositifs formés de divers éléments et assurant une fonction déterminée »1 : ainsi, la cafetière sert à verser le liquide chaud dans les tasses en scotch qui se délitent sur la table à un pied oscillant puis basculant, tandis que se répand au sol le café que la basket peinte et molle équipée d’une semelle en essuie-tout vient délicatement absorber, jusqu’à ce que, de fil en aiguille, remplir une tasse de café déclenche une avalanche. Il faut dire que Xavier a fait des études d’ingénieur à Rouen, avant d’étudier les Beaux-Arts à la Villa Arson, et il est possible qu’il en ait gardé le goût de la mécanique.
Je ne sais pas si cette attention à l’articulation des corps et des machines – instruments, outils ou mécaniques – observable dans le travail de Xavier Michel est une réminiscence de ces mêmes études d’ingénieur. On se souvient peut-être que Henry Ford fit appel à des chorégraphes, proto- ergonomes, pour concevoir ses chaînes de fabrication de voiture : les machines s’articulent à des corps d’autant plus efficaces que les premières s’emboîtent bien avec les seconds. J’y ai repensé récemment, devant Les Temps modernes, en admirant les glissades, les pirouettes et les grimaces de Charlot pris de folie après qu’on eût testé sur lui la machine-à-manger- en-même-temps-que-l’on-boulonne, finalement pas tellement au point. Plus encore que Charlot c’est peut-être Bustert Keaton qu’évoquent les actions de Xavier Michel, dans leur absurde prouesse, leur presque-clownesque ou leur idiotie idéale : un abandon maîtrisé au chaos précisément organisé des choses. Les systèmes qu’il invente se « dissipent » explique-t-il : ils ne servent à rien. C’est pauvre, gratuit et parfaitement huilé comme Le Cours des choses2 ou La Maison démontable3.
À la différence de ces petits films géniaux, toutefois, les images générées par l’interaction de l’artiste avec ses « objets » frise parfois le grotesque : comme cette sculpture vêtue de molleton synthétique effet « marbre » qui se met à danser sur des pieds en plâtre perchés sur talon en fer à béton. La figure est incongrue, extraordinaire, gracieuse et monstrueuse tout à la fois.
« Faire soi-même ouvre des portes, à la fois narratives et plastiques, y compris de choses à côté desquelles tu passes ». Et de fait, ouvrir des portes ne veut pas forcément dire les emprunter, on peut aussi passer à côté, si on veut.
1 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/système/76262 consulté le 17/04/2023 16:13.
2 Peter Fischli et David Weiss, Der Lauf der Dinge, 1988, film 16 mm, 30 minutes.
3 Buster Keaton, Edward F. Cline, One Week, 1920, 22 minutes 30.
Joseph Mouton, 2017
De l’école d’ingénieur qu’il a faite avant d’étudier l’art, peut-être reste-t-il à Xavier Michel le goût de l’invention technique ; mais les inventions qui l’ont mobilisé dans le cadre de l’art se sont toujours révélées impraticables, quand elles n’étaient pas vaines, absurdes, dérisoires ou frappées au contraire de mégalomanie (personne ne pourrait y arriver). Il y a une belle vidéo où l’on peut voir le garçon au naturel dans son atelier de la Villa Arson, en train d’écouter de la musique (Brahms probablement, sur France Musique) ; et soudain inexplicablement saisi par le désespoir autant que par un élan mimétique irrépressible, il monte sur une chaise puis sur une table, se met autour du cou un gilet de sauvetage et tente de reproduire le mouvement de la mélodie supposément brahmsienne sur le sifflet attaché au gilet (car avec un seul ton disponible, on ne saurait reproduire la mélodie elle-même). Sa longue silhouette en équilibre instable, sa tête toute proche du plafond et ce plastron orangé qui lui pend au cou, — tous ces éléments font penser à une tentative de pendaison qui n’aurait pas trouvé les accessoires adéquats et se serait dissipé dans la musique faute de mieux.
Les études que Xavier consacre à ses divers projets plongent toutes dans ce climat subtilement bouffon et malheureux, et comme elles n’aboutissent jamais au projet pourquoi il les a entreprises, leurs véritables produits se rencontrent bien plutôt dans les dérivations accidentelles et transversales auxquelles elle donnent lieu. L’artiste a une façon remarquable d’exposer ses résultats : tandis que l’on sympathise avec les mésaventures de sa méthodologie et la timidité sincère par laquelle il en fait état, on ne se rend pas compte que l’on assiste à une véritable performance, d’autant plus saisissante qu’elle ne s’annonce pas sous sa propre couleur. Du grand art avec les déboires de l’art !